André a une petite bite

André a une petite bite et il a une petite femme et aussi une petite fille. André a ce regard de pensées assis sur son visage. Il balaie ses yeux dans toutes les directions et je les vois depuis le balcon de ma maison. En fait, ce n’est pas vraiment ma maison. Je crie tous les jours mes voyages et je marche sur des routes sinueuses, portée par ce désir de comprendre ce que dit mon cœur, comme s’il y avait une Vénus qui venait du ciel et me disait : cet endroit t’appartient.

André, qui a une petite bite et une petite femme et une petite fille, a des racines dans les pieds qui sont constamment en colère et disent : c’est ma place. Il y a beaucoup de magie à s’asseoir sur le balcon, il y a une rencontre magique avec quelque chose d’ancien, mais vient immédiatement cette reddition dans laquelle je suis tellement intriguée par André. André retrousse son pantalon et ma rencontre avec lui devient très intime. Moi, André et le coq. Aujourd’hui j’ai surpris André découvrant mes regards à l’horizon, il a été enflammé par le feu de la folie. Aujourd’hui, j’ai attrapé les poils pubiens d’André et j’ai vu qu’André avait une petite bite et qu’il faisait pipi.

André a les yeux jaunes et une voix qui sort de son anus. Sa petite femme avec la grande dépression a été empêchée de regarder cette triste créature. La solitude puante de sa vieillesse suscite des réflexions embarrassantes sur l’essence de l’existence. Cette philosophie du changement traverse l’espace, masquant parfois la terreur et parfois me déracinant de plus en plus de cet endroit où je suis – je n’ai pas de racines dans les pieds, comme André en a. La cervelle humaine d’André se déplace d’un coin à l’autre, il rame vers le chemin, se dissimule derrière les arbres, comme pour dire : ״Regarde-moi, je fais pipi maintenant avec ma petite bite״.

Dans ma fenêtre poétique de la tour, face à la montagne, j’ai découvert les limites de la psychopathie de tous les demandeurs de psychanalyse. Le corps d’André est tordu et vieux, il a un corps de dépression. La petite femme d’André a les jambes fermées et depuis qu’elles sont fermées, elle aime se plaindre de moi. Je fuis ses coups de fouet, car j’ai un secret : je sais qu’André a une petite bite. Le petit coq cause une grosse dépression à la petite femme d’André. André la poursuit avec le petit coq, et elle s’enfuit en criant : « André, tu as déjà éjaculé, nous avons une petite fille. » Les genoux de la petite femme se touchent. C’est cruel d’avoir une petite bite qui ne rentre pas à l’intérieur d’une femme souffrant de dépression majeure.

Maintenant de ma fenêtre, en regardant la montagne d’en face pleine de compassion, je découvre la lente mort de l’urine qui sort du petit coq d’André . Toutes les adversités du destin ont touché André, l’inventeur vénéneux. André n’a pas encore inventé pour lui-même la forme architecturale qui permettrait d’agrandir le petit coq. Quel mystère de se promener avec une petite bite qui ne rentre pas dans une petite femme avec une grosse dépression, et la petite fille avec une peau de poisson sur le visage, regrette chaque jour que son père soit déjà vieux et malade, et que sa mère est une âme centrifuge qui aime planter un poignard dans tous ceux qui ne savent toujours pas ce qu’est une maison. Mais elle est vieille aussi, la petite femme, et elle est sans espoir. La nuit André fait des cauchemars, il pense à sa petite fille au visage de poisson, dont la haine a chassé même les rapaces errant dans les airs.

Le jour – André avec la petite bite se promène à la recherche de sa propre dignité, tapi sur les chemins pour quiconque s’arrêtera et regardera son petit coq pisser. C’est la pathologie du corps d’André qui vit avec une petite femme, qui a la folie sur le visage et les jambes fermées que seul un âne ne peut pas voir. Et elle attend la fille qu’elle déteste, car dans la peau de poisson de la fille il y a une vengeance cruelle sur le père André avec le petit coq, et dans la petite et méchante mère, un nid de guêpes a poussé entre ses jambes fermées .

André a une petite bite

Le Voile de l’Ange | Revue de livre par Par Bernard Perroy

« Je veux avoir un voile d’ange » (p.9) écrit Anna-Marie Ravitzki dès les premières pages de son recueil qui comporte 35 poèmes illustrés par quatre magnifiques dessins d’Avi S. Ravitzki, son mari, sculpteur, peintre et cultivateur de truffes dans le Périgord noir où ils habitent tous les deux.

Après avoir refermé le livre, il nous en reste une forte impression : on est subjugué par la vivacité d’esprit de l’auteure, par le foisonnement de ses pensées, de ses désirs, par la richesse et la singularité de son expression aux images et aux rapprochements audacieux, aux raccourcis fulgurants que l’on pourraient dire « surréalisant » si l’expression n’était pas trop piégée et datée, éloignée de la culture hébraïque de l’auteure.

Il s’agit du premier recueil français d’Anna-Marie Ravitzki, traduit de l’hébreu par Emmanuel Moses qui est lui-même poète et romancier (1). Ce dernier m’a précisé qu’un deuxième recueil d’Anna-Maria Ravitzki, – en fait, chronologiquement, son premier – est en route chez les éditions Obsidiane. La revue Secousse vient d’en publier quelques poèmes.

 *

Un chemin de désir

 D’un bout à l’autre du livre, c’est un chemin de désir qui nous est donné de lire :

 « Parfois je me noie dans le désir

De cette chose inatteignable
(…) Il est interdit de perdre les désirs
De perdre délibérément la vie » (p.15)

 Le fil rouge du désir concerne toutes les dimensions de la vie : désir du corps, désir du cœur, désir de la pensée, désir de la relation, désir de se retrouver aussi avec soi-même, avec sa propre histoire, son identité, son enfance, ses racines ou son manque de racines… Désir également de comprendre ce désir en nous, plus vaste que nous-mêmes… Anne-Marie Ravitzki voudrait rejoindre ce qu’elle pressent aussi de plus vaste que le monde. Elle est « travaillée » par cet ”au-delà” qui surpasse toute connaissance, toute compréhension, tout sentiment…

 « Je désire tout ce qui m’échappe » (p.8)

(…) voyageuse que je suis
Fille des plaines prodigue

Risible par mes tourments vertigineux » (p.11)

« Les graines qui m’ont fécondée
M’inspirent des idées d’éternité »
 (p.10)

 et ce magnifique passage qui synthétise bien son écriture et les thèmes qui l’habitent :

 La vie est un miracle

Un univers de guérison
Une paire de socquettes blanches sur des pieds gelés
La vie est un tas de vertiges qui tournoient
Entre la tête et la région lombaire
Entre le cou et la trachée-artère.
Je m’y consume
Assoiffée de désir dans ce quotidien » (p.19)

 *

Corps et âme

 La quête intellectuelle, métaphysique, spirituelle… et tout ce qui forme le tissu matériel et corporel de notre quotidien s’entremêlent à plaisir, se répondent, s’interpénètrent non sans humour ! Les textes d’Anna-Marie Ravitzki s’étalent chaque fois sur toute la page ou presque. S’ils en appellent à l’éternité, à un désir de transparence aux choses, à leur signification, au vide aussi ou aux « alleluias qui pénètrent dans chaque goutte de mystère » (p28)… ils s’appuient en même temps sur le concret de la vie, telle qu’elle est avec l’usage de nos cinq sens ; la vie avec ses expériences, ses manques et ses plaisirs… Et les mots expriment la réalité incarnée de notre condition humaine :

 « Nous sommes nous aussi des mammifères allaités au sein » (p.20)

« Et ma tête (…)
A compris le goût du sel collée à la plante de mes pieds » 
(p.13)

« J’ai de l’encre sur mes lèvres
Qui coule de ma bouche

J’écris avec ma salive » (p.14)

 Nous découvrons ce rapport intime entre corps et langage, combien également Anna-Marie Ravitzki se trouve être viscéralement fille du Livre, fille des Ecritures Saintes, fille de la Thorah dont les mots ne servent de rien s’ils ne s’incarnent pas dans nos gestes les plus quotidiens :

 « J’implore le don d’une copie du manuscrit ancien

Qui se dicterait sur mon corps » (p.14)

« Je veux me vieillir à en mourir dans la langue de la Torah » (p.29)

« …perles des profondeurs
Accumulant toute mon histoire en une seule vague

Qui submerge mon corps de grandes tentations
Et inscrit sur ma peau les Saintes Ecritures. » (p.31)

 *

En perpétuel mouvement

 Au bouillonnement des images correspond chez Anna-Marie Ravitzki (qui a longtemps enseigné la philosophie) un bouillonnement de la pensée dont elle aimerait parfois se départir.

 « Je ne suis que les signes sur le corps

Je suis des réflexions infinies sur la nature de l’homme » (p.25)

« Mon intellect enflamme les mots » (p.24)

« Mes pensées se dirigent d’elles-mêmes
Vers une dimension qui me crache à la figure

(…) Ma curiosité est grande » (p.33)

 La poète nous parle de « l’effervescence qui pétille dans mon âme comme du champagne » (p.39) et qu’elle aimerait parfois « empêcher » pour « trouver sa respiration dans des pensées simples » (p.39). Mais tout ce mouvement intérieur s’origine sans doute dans l’histoire même, individuelle et collective, d’Anna-Marie Ravitzki née à Tel Aviv, « fille d’immigrés » (p.30), « à la recherche de l’amour » et d’elle-même (p.39) parmi « ces sentiers blessés » (p38). Le mouvement fondamental est celui de la « marche », du « chemin » : chemin du corps, chemin de l’âme.

A plusieurs reprises, l’auteure se dit « l’étrangère », la « bohémienne », une « minorité issue d’une minorité », atteinte par ce sentiment d’exil, extérieur et intérieur… Et comme pour suivre l’injonction de Dieu à Abraham « Va vers toi-même » (Gn 12, 1) que l’on retrouve dans le Cantique des cantiques (Ct 2, 10), Anna-Marie Ravitzki nous confie : « Je vais mon chemin face à moi-même » (p.38), entre mémoire et avenir, mais également dans ce présent seul véritablement porteur de plénitude :

 « Je cherche tout ce qui s’est perdu sur le balcon de l’enfance » (p.22)

« Le présent est l’arme de mon existence disimulée depuis mon enfance » (p.23)

« Je fraie un chemin vers un lieu inondé de battements de coeur » (p.40)

 « J’élague les bruits chaque matin

Je les dépose sur les brumes
Et je sais qu’aujourd’hui je vis. » (p.44)

 *

La soif d’une grande amoureuse

 Les références bibliques dans ces poèmes, comme nous venons de nous en apercevoir, sont multiples. Emmanuel Moses, son traducteur, m’a précisé qu’Anna-Marie Ravitzki « a étudié la pensée juive en profondeur. » Il m’écrit aussi : « La Bible, comme les Évangiles d’ailleurs dont elle se sent proche, notamment du personnage de Marie-Madeleine – ce qui apparaît très explicitement dans le livre que publie Obsidiane – traversent et irriguent son travail. » Si elle utilise des formules bibliques et des expressions puisées dans la tradition juive, la liturgie, la kabbale, le yiddish… elle s’en joue littéralement !

A travers tout cela, Anna-Marie Ravitzki nous confie son besoin d’amour, son ardeur, toutes ses ardeurs, et se sent proche effectivement de la figure de la Magdaléenne aussi bien dans ce qu’elle fut avant sa rencontre du Christ que dans ce qu’elle transporte ensuite de joie, de pleurs transfigurés… Seul l’amour vrai tranfigure, amour que chacun recherche et expérimente à sa façon et comme il le peut. Elle exprime si magnifiquement combien « les touchers (d’amour) que la chair vivante a connus sont la clé de mon devenir » (p.36). « Je suis étrangère, par ma fougue aussi » (p.37). Elle se dit vouloir « connaître tous les trottoirs de la ville » (p.41) (et l’on pense à la bien-aimée du Cantique des cantiques qui cherche désespérément dans les rues de la ville son Bien-aimé). Elle se dit être « une enfant des rues » et « l’amante vulgaire de cette ville » (p.41), l’enfant de toutes nos contradictions, de toutes nos prostitutions, de toutes nos maladies d’amour…

L’instant ultime, si beau, si profond, si vrai, si essentiel, est bien celui de la rencontre où, dans « le refuge du coeur » (p.41), « cette musique intérieure / m’appelle par mon prénom » (p.44), en référence au Christ ressuscité, dans le jardin du tombeau vide, qui appelle Marie-Madeleine par son prénom, tandis que celle-ci prenait Jésus pour le jardinier des lieux. Elle s’écria alors : « Rabouni !», reconnaissant le Christ, dans la joie de se savoir connue, reconnue et aimée en vérité par un tel Dieu d’amour…

Kokoro | Revue de livre par Marc Wetzel

« Il y a des gens qui sont comme un métro
Un train des profondeurs de la terre
Parce que leur oxygène est le dioxyde de carbone.
Mon amour est un macaron
De chez Pierre Hermé
J’y mords
Et la ganache s’échappe dans tous les sens.
Il y a des gens qui ne savent pas conserver
Leur amour .
Parce qu’aimer c’est
Fertiliser sans cesse autour du tronc.
Je vous le dis
Répandez beaucoup d’engrais
Pour qu’il pénètre dans le corps
Qu’il flotte sur la conscience
Afin qu’elle devienne une vierge assoiffée pour l’éternité
Car il est interdit de mettre le réveil
Pendant l’acte d’amour »  (p. 54)

Je crois que ce recueil, ardent et subtil, répond positivement à une question à la fois inattendue et justifiée : la pure sensualité peut-elle être religieuse ?
Une religion strictement physiologique, par l’attente et l’étreinte, est-elle possible ? Est-elle souhaitable ? Est-elle sensée ? Car ce serait une religion sans sanctuaire extérieur, sans sacrements objectifs, sans rassemblements publics.
Des serments amoureux ont-ils teneur spirituelle ? De la disponibilité sensuelle peut-elle valoir attention et abandon à la volonté de Dieu ? Du désir de la chair d’autrui peut-il sérieusement se prétendre prière (imploration d’un avenir secourable, ou au moins d’une vitesse de renouvellement apprivoisable du réel ?). Des vœux transcendants peuvent-ils être émis sans rire, là où il n’y a pas du tout sacrifice, là même où, par merveilleuse et vertigineuse inclination, on renonce à renoncer ?

« Ton nom est gravé dans sa voile
Elle
Qui m’a connue
Et toi qui m’as chuchoté
Ma Bien-Aimée
Tu m’as conduite
A l’ivresse du cœur
Et j’ai
Cru presque mourir.
Tu es planté au plus profond de ma chair
Je suis une plaie qui n’a pas cicatrisé
Et tu es le capitaine
Dont le désir
A failli me conduire à ma perte.
Rien ne pourra m’effrayer
Ton nom est gravé sur les lèvres
Des voyageurs lointains,
Je me languis d’une patrie »  (p. 23)

Et à cette question (la pure sensualité peut-elle être religieuse ?), la réponse, étonnante, et superbe est : oui, rigoureusement oui (et l’on devine la leçon qui vient alors : ne crains plus désormais de mêler Dieu aux frissons d’alcôve, ni de t’assumer pieux pèlerin en pleine caravane de halètements et cahots). Et voici d’abord pourquoi : c’est que l’hygiène intime (d’âme et de corps) de l’amoureuse est le contraire de la négligence (et la négligence le contraire de la religion !), qu’elle est authentiquement moins assurée d’être aimée encore demain que de l’existence de son Créateur (et ce pressentiment que l’on aura dès lors diverti sa solitude sans la combattre ni la comprendre a goût déjà mortel !), qu’elle a déposé la formule secrète de son ravissement sous commandes conscientes d’un autre (conscientes, donc potentiellement violentes, et réellement inviolables) ; tout cela dit les choses comme elles sont : toute femme qui donne son corps a dû entrer dans une confiance surnaturelle.

« Je te dis
Embrasse-moi
Tu as placé en moi un feu archaïque
Pris à la flamme de Prométhée
Tu as allumé le feu rampant
Dans les galeries du temps
Les vapeurs de l’alcool m’ont enveloppée
Afin que j’enferme dans mon alliance
L’épée du serment.
Combien tu aimais pleurer
Quand je te menais au seuil
De la volupté espérée
J’ai effacé certaines de tes vaches sacrées
Car toi aussi, là-bas
Mon très beau
Grand maître
Tu as été abandonné par moi
Mais l’odeur de ta semence
Fait germer sur ma peau
Jour après jour
Des étincelles de grâce
Et de ce qui ne ressemble à rien
Et les voies du plaisir
Et de la sagesse
Et la voie du sentiment enivrant
Et le temps de notre désir
Ne laissent pas
Mon sang refroidir »  (p. 59)

Mais qui dit religion dit tradition, dit que le service du divin a des précédents fondateurs, que le culte est à prendre aux pieds de ses modèles (et aux bras de ses officiants) ou à laisser ! Et le modèle de notre amoureuse (si passivement débridée, si farouchement exigeante) est ici constant : c’est Marie-Madeleine (c’est « la Magdaléenne » qui la précède où elle s’aventure, l’accompagne où elle se perd, l’inspire où elle doute – et elle l’inspire si fort que notre poète n’hésite devant aucune fièvre !), qui fut prostituée (seul métier, avec avocat marron et receleur, où l’on porte le péché d’autrui avec le nôtre – au contraire du confesseur probe et juste, qui remet sa propre faute avec celle d’autrui), la Magdaléenne qui parfume son pourtant inaccessible Seigneur, qui descend embaumer le corps même dont elle dut faire le deuil, qui arrime son radeau aux Saintes-Maries de la Mer et vint, comme notre auteure (Israélienne périgourdine), vivre en Gaule sa mort à elle-même.


« J’ai erré avec toi dans l’eau
Et voulu éteindre la lumière
Je cherchais le silence
Des dernières heures de la nuit.
Magdaléenne.
Tu es mon centre
Tu m’agrippes
Et tu concentres en toi
La profusion de mes identités.
Tu me laves
De tes larmes
Et me couvres de vêtements
D’embaumement.
Tu m’as embaumée.
Je suis une âme
Embaumée en toi.
Je ne veux qu’être allongée sur le pont
Lever les yeux
Vers le néant
Et te rencontrer
A travers
Le monde des sentiments… »  (p. 35)


En France, donc, le pays le plus synthétiquement varié de la planète, c’est à dire celui qui résume en lui au mieux l’exacte plantureuse diversité de la Terre, comme l’âme de l’amoureuse miniaturise l’infinie contrée idéelle de Dieu ; une France de Sarlat à Perpignan, qui est le boudoir somptueux de la vie préhistorique, et comme le patron géomorphologique du Dieu créateur, ou l’archétype occitan de la Genèse.

« Une de mes jambes
Est restée chez lui
Une jambe protectrice
Conductrice
Qui me parle en rêve
M’observe
Me mène
A l’endroit où
Voler
Libre
Je suis en contact avec lui
Et il saisit
Il évoque
Mon histoire
Et découvre des trésors
Qui étaient perdus
Que j’ai trouvés
Avec une flèche de mémoire
Il m’offre des cadeaux
Touche mes seins à distance
Dans mon âme a poussé
Une âme gauloise
Affamée … »  (p. 33)

L’autoportrait de la poétesse aimante et aimée est surprenant : une « éléphante volante » (expression trois fois présente au moins, p. 46, 56 et 61), n’ayant « aucune patience pour les fadaises » (p. 62), « dépendante de mains qui errent sur son corps comme dans un terrain vague » au « grand moment entre la vie et la mort » (p. 24) ; dont le « système nerveux entretient un rapport intime avec lui-même et avec tout dévoilement de sa nudité » (p. 50) – qui ne semble faire que ce qu’elle vit, et ne montrer que ce qu’elle pense. Cette auto-dérision de l’amante en « éléphante volante » (comment imaginer sans sourire son essai d’envol ? ou son délicat atterrissage entre les faux serrées « de l’ignorance », « de la bêtise », « de la fureur » et de « la grisaille » ?) dit quelque chose d’un peu miraculeux, comme : l’amour, élan sans âge (« je suis éternelle envers toi » dit-elle merveilleusement), assuré de n’être jamais rattrapé par le mal, est ainsi la seule profondeur dispensée d’humour.

« Pour toi la seule
Qui aies enfoui ta vie
Dans les plis de mon âme
Et trempé mon sang
Dans les codes secrets de mon corps
Toi, la parfumée,
Toi, la désirée
Je serre ma vie autour de tes hanches
Je chante pour toi avec un chœur  de passereaux
Qui flottent au-dessus de tes seins blancs
Et le navire …
Tu es le chant
Sans lequel
Les courbes de mon corps
Disparaîtraient comme néant et vide
Car tu es mon savoir
Et tu es mon rêve
Et jamais tu ne déroberas mes souffrances
Malgré ton désir ardent »  (p. 70)

Anna-Marie est une pasionaria, une furie, du pur sentiment. C’est une poétesse qui chante assez le sentiment pour faire saisir sa nature. L’enjeu de reconnaissance amoureuse est ici l’indice d’une conduite affective plus large, qui est de participer à des raisons de vivre qui nous intègrent (et nous adoptent) ou nous excluent. Comme le sentiment de tendresse entre en affinité avec les raisons que l’être qui nous attendrit a de posséder telle ou telle formule charnelle ; le sentiment de susceptibilité est de devoir rencontrer des raisons de vivre pour lesquelles on ne compte sensiblement pas. Le sentiment du sublime est d’être inclus dans ce qui pourtant nous dépasse, celui d’une disproportion qui menace et ferait pourtant de nous sa complice. Si le sentiment est le propre de l’être humain, c’est que l’homme est l’animal qui sait qu’il est né (que sa conscience fut seconde dans sa vie, qu’il fut connu avant de connaître), et qu’il va mourir (que le néant prochain est inéluctable, que l’univers nous déliera de lui, que notre être au monde ne sera plus reçu dans le monde, qu’on sera agi par lui avant de pouvoir finir d’agir). L’amour est ainsi comme un enfant qui s’abandonne encore au monde pour qu’il s’occupe de lui, et un vieillard qui occupe assez le monde pour n’être jamais abandonné de lui. L’amour qui (dit magnifiquement A.-M. Ravitzki) « nous pousse à l’intérieur d’une forêt par une porte latérale vieille de plusieurs milliers d’années », crie utile.

« Prends soin de mon cœur
Je te le demande
Puis tu me racontes
Que la femme est née pour faire l’amour
Et cela inonde mon cœur d’une fièvre sauvage
Qui cherche à ne pas s’inonder
D’inquiétude
Et je te demande à nouveau
De prendre soin de mon cœur
Car je m’enchevêtre dans les sentiments (…)
Parce que seule celle qui est née pour faire l’amour
Peut saigner autant »  (p. 73)

« Kokoro » est le mot japonais pour dire le monde du cœur (et peut-être le cœur du monde). Or prendre soin d’un cœur, c’est se soucier de ses raisons d’aimer. Et d’où lui viennent-elles, sinon de l’origine (perdue, mais solidaire) de tous les cœurs ? A quoi lui servent-elles, sinon savoir battre pour un autre ? Être reconnu, pour un cœur, c’est avoir révélé nos raisons de battre pour lui. Mais il faut durer, continuer à vivre (et faire vivre) de cette révélation, en un destin humain dont tous les matériaux sont fragiles, opaques, dispersés : l’Un a éclaté, et le mieux que le plus ardent des cœurs puisse faire, c’est savoir « que son corps est deux » (p. 53). Assez deux, suggère extraordinairement notre poète, pour jouir – dans la plus fougueuse des rédemptions – de l’Un .

« Je dois voler
Je vous le dis
Je dois voler.
J’ai lu toutes les théories physiques
J’ai libéré mes seins sur le navire
En pleine mer
Mon désir n’a pas cessé un seul instant
Et je continue de vous le dire
Je dois voler.
J’erre
J’erre sans arrêt
Je compromets ma réputation
Pour vous parler d’étoiles de mer
Et de fusées
Et de celui qui me visite chaque nuit
Et me dit :
« Merde
À la force de gravitation,
Tu dois voler. »
Mon feu brûle
Je suis le tonnerre
Je suis un éclair
Je saisis les tempêtes
Et non les cornes de l’autel
Ma lave ne se calmera pas
Avant que je m’envole »  (p. 72)

Kokoro | Revue de livre par Christine Givry

Près avoir parcouru tous les cercles de l’Enfer de Dante, sur les pas de la langue de Virgile et auparavant d’Homère, voici que je brûle maintenant dans les poèmes d’Anna-Marie Ravitzki, magistralement présentés par Emmanuel Moses.

Pénétrée par ce nouveau Cantique des cantiques, je m’imprègne de sa sensualité, de sa brûlure physique et spirituelle, celle d’une Marie-Madeleine qui “s’envole, éléphante volante”vers des lieux, un ciel, un “soleil de liberté”.

L’Amant, cet “Unique”, ce divin “couronné d’épines” est la Beauté qui baigne les poèmes.

La poète a conclu un “contrat d’amour”, c’est le recueil d’un Dit d’amour, comme les Lais de Marie de France, qui ne laissent pas le lecteur ou la lectrice paisible, mais l’entraîne dans la lave de son verbe, “l’encre rouge” du soleil.

Ivre d’aimer, elle transporte ses lecteurs dans son alcool si fort qu’on ne peut qu’avoir envie de relire Kokoro, dans ce face à face avec l’Autre, la pécheresse qui se fait comme le double de la poète.

Le Voile de l’Ange | Revue de livre par Emmanuel Moses

Entre la passion et la philosophie, comme un voyage en dehors du temps et de l’espace, Un voile d’un ange est un livre de pèlerinage destiné aux profondeurs de l’esprit et du cœur. Anna-Marie Ravitzki déchire le manteau de l’illusion avec ses poèmes vaillants et mugissants. Au-delà des ombres et des sons, un paysage intérieur est révélé devant les yeux du poète et de ses lecteurs, qu’elle décrit avec le langage de la révélation existentielle et de l’urgence, une langue unique dans laquelle chaque mot est à la fois la flèche et la cible, l’arbre de la connaissance et du fruit de la connaissance, de la folie et de la solidité du cœur. Dans le monde poétique d’Anna-Marie Ravitzki, le sang est en effet l’âme, vital, sauvage, bienveillant.

Emmanuel Moses

Kokoro est en Français

Nous sommes ravis d’annoncer le lancement du livre Kokoro par Anna-Marie Ravitzki, traduit en français par Emmanuel Moses et publié par la prestigieuse maison d’édition Obsidiane.

Kokoro est le deuxième livre d’Anna-Marie Ravitzki, philosophe, écrivain, et artiste qui vit à Paris et au Périgord. Son premier livre, Le Voile de l’Ange, publié par l’Edition Al Manar, a été honoré du 2016 Prix Alain Bosquet de Gallimard.

Le grand événement de lancement a eu lieu le 26 Avril 2017, à 18h, à Tituli, Paris.